Hey M'man. Maman, pardon. Tu vas bien ? Peut-être que tu te rappelles pas de moi. Du moins, de mon visage. J'ai beaucoup changé depuis la dernière fois que tu m'as vu. Je devais avoir quoi... un an, tout au plus, lorsque t'es partie et que t'as décidé de retourner à Israël. Je devais faire moins d'un mètre et maintenant, je fais un mètre quatre-vingt. Ça doit être dur à imaginer, non ? J'ai grandis tout seul avec Papa. On s'est installé à Liverpool, c'était sympa. Puis, il a rencontré une autre femme. Au bout de quatre ans. Pendant ce temps là, il s'occupait bien de moi. Je grandissais normalement, malgré ton absence. Et puis donc, y'a eu cette femme là. J'avais cinq ans. Elle s'appellait Kate, elle s'appelle toujours Kate, d'ailleurs. Au début, c'était bien. Elle était sympa, du moins, dans mes souvenirs. Puis j'ai grandi. Papa se mettait à la croire, elle, au lieu de moi, et je te laisse imaginer l'ambiance de malade présente au sein de la maison. Lorsque Kate a fait tomber son tableau préféré, c'était de ma faute, et ce genre de chose. J'avais dix ans, je crois. Ou peut-être onze, ouais, c'est plus probable. Puis ça a continué. Puis est venu le moment où j'existais plus. Alors là, c'était assez incroyable à voir, si si. Je rentrais à la maison après une journée de cours, j'avais un bonjour. Oui, seulement un bonjour. Pas de « comment s'est passée ta journée ? » ou de « alors, t'as bien travaillé ? », non. Rien du tout. Je pense que Papa avait fini par me remplacer par mon « adorable » belle-même. (tu discerneras l'ironie grâce aux guillemets hein, je l'aime pas, t'as compris je pense.) J'ai commencé à me renfermer sur moi-même, d'une façon inconsciente ou non. J'avais personne. Papa m'avait, comme abandonné, toi, t'étais pas là. Je me suis tourné vers les livres. C'est un peu cliché, non ? Peu importe, c'est ce qu'il s'est passé. J'ai découvert Jules Vernes, à ce moment là d'ailleurs. Tu connais ? C'est un auteur français. J'aime beaucoup, j'adore même. Je me suis aussi tourné vers les ordinateurs. Je voulais faire ça de ma vie. Maintenant, je suis programmeur informatique d'ailleurs, informaticien si tu préfères. Donc, où j'en étais. Attends, je me relis vite fait. Ah oui, les livres. Donc quand je rentrais de la maison, je faisais (rapidement) mes devoirs puis je lisais. Comme personne ne faisait attention à moi, je faisais ce que je voulais. Ensuite, j'ai eu dix-huit ans. Et oui, le temps passe vite. Là, on m'a fichu dehors. Littéralement. Je savais que j'avais disparu aux yeux de Papa pour X raison, mais je ne pensais pas que c'était à ce point. Quand j'ai vu l'autre pétasse -excuse mon vocabulaire, mais y'a pas d'autres mots- sourire quand je prenais mes valises, j'ai compris qu'elle avait fait en sorte que ce soit elle qui me remplace. Elle m'avait jamais aimé de toute façon. Je suis parti à Manchester, j'ai fais des études d'informatique. À vingt-trois ans, j'avais mon diplôme. Oui, j'avoue avoir eu une année sabbatique, pour me détendre un peu. Franchement, je me suis jamais senti aussi bien. J'étais tout seul pendant mon enfance mais c'était différent que d'être vraiment tout seul. Je préférais ça, j'avais l'impression d'être totalement indépendant. Ce n'est pas qu'une impression en fait. J'étais vraiment indépendant, je le suis toujours d'ailleurs. Puis j'ai déménagé à Londres. J'y vis toujours d'ailleurs. Je suis en train de lire toute la bibliographie de Jules Vernes. Je gagne ma vie comme il faut, disons que je peux payer mon loyer, la nourriture et une place de cinéma, en gros. Tu sais Maman, j'aimerais vraiment que tu viennes. Rattraper le temps perdu, tu vois. J'aimerais te connaître. T'es ma mère après tout. Je suis censé avoir cette influence maternelle. J'ai vraiment envie de te parler, voir si je te ressemble. Même si tu ne veux pas me voir en personne, réponds moi. S'il-te-plaît. Je t'envoie mon adresse dans la lettre, et mon numéro de téléphone, pour que tu puisses m'appeler ou me répondre. Je t'aime, ton fils Isaac.